À propos d’elle
À la barre de la compagnie de danse Cas Public depuis plus de trente ans, la chorégraphe québécoise Hélène Blackburn est une figure majeure en danse contemporaine et une ambassadrice de premier plan, auprès de publics de tous âges. Détentrice d’un corpus d’une vingtaine d’œuvres, dont près la moitié en direction du jeune public, Hélène Blackburn est désormais reconnue comme un chef de file en création pour l’enfance et la jeunesse. Ses spectacles voyagent aux quatre coins du monde et sont accueillis dans des lieux prestigieux, dont l’Opéra national de Paris, le Royal House de Londres et le Lincoln Center for the Performing Arts de New York pour n’en nommer que quelques-uns.
L’importance de la contribution d’Hélène Blackburn à l’essor de la danse de création au Québec et à son rayonnement sur la scène internationale a été plus d’une fois soulignée dans les dernières années. Mentionnons le Prix Hommage 2019 reconnaissant nommément la carrière exceptionnelle de la chorégraphe, décernée par l’Association des diffuseurs de spectacles (RIDEAU), et le Prix Reconnaissance UQAM 2019. Le Prix de la danse de Montréal 2018 – diffusion internationale, remis par CINARS et doté d’une bourse de 5 000 $, récompense la tournée imposante du spectacle 9 au cours de l’année 2018, dans trois pays et 18 villes européennes ; et, le Grand Prix du Conseil des arts de Montréal 2017, accompagné d’une bourse de 30 000 $, distingue, parmi plusieurs candidatures imposantes dans le domaine des arts, Cas Public pour quinze ans de réalisations audacieuses à l’enseigne de la danse jeune public.
Toujours aussi étonnée de se retrouver au sommet de son art, à fortiori en ayant emprunté la voie sous-estimée du jeune public, Hélène Blackburn avoue ne rien tenir pour acquis et pour elle seule. Nommément, sur le terrain de l’art et de la création, synonyme pour elle d’aventure collective, sans garde fous, de défis constants à relever sur le plan technique et esthétique, de quête de sens et d’un surplus d’humanité. Ainsi, reconnait-elle d’emblée l’apport de collaborateurs fidèles depuis plusieurs années à la conception, ainsi que celui des interprètes qui, associés de manière permanente à la compagnie, sont partie intégrante du processus de création et solides porte-étendards d’une signature dont on aime la fougue, l’inventivité, la générosité et la rigueur chorégraphique.
Si aujourd’hui Hélène Blackburn se sait redevable envers les nouvelles générations de chorégraphes, c’est parce qu’elle croit au pouvoir de la transmission pour avoir, elle-même, beaucoup reçu.
Les années d’apprentissage
Hélène Blackburn fait partie de la relève à une première génération de chorégraphes québécois, issus de la troupe - école Nouvelle Aire ou du Groupe de La Place Royale. Plusieurs enseignent d’ailleurs à l’Université du Québec à Montréal, au moment où elle poursuit, entre 1981 et 1984, une formation en danse contemporaine, elle qui fut initiée dès l’enfance au ballet à l’École Florence Fourcaudot de Chicoutimi, et après avoir fait des études en théâtre et ethnologie à l’Université Laval. Elle se dit privilégiée d’avoir pu profiter de cette période de grande effervescence en danse, sous la poussée des Édouard Lock, Paul-André Fortier, Ginette Laurin, Marie Chouinard, Daniel Léveillé, Daniel Soulières, Jean Pierre Perreault, et d’organismes qui, comme le Festival international de nouvelle danse (FIND) et le Regroupement québécois de la danse (RQD anciennement RPDQ), ont contribué au développement de la danse contemporaine au Québec et à sa reconnaissance sur la scène internationale.
Parmi les influences qu’elle aime rappeler, Hélène Blackburn retient celle de Iro Tembeck, professeure et historienne au département de danse de l’UQAM, aujourd’hui décédée. C’est elle qui l’éveille à la danse moderne et la guide vers le département de danse de l’UQAM, alors qu’elle fréquente les studios de Linda Rabin – autre figure marquante de cette époque – qui deviendront l’École de danse contemporaine de Montréal (LADDMI). Et puis, il y a le regretté chorégraphe et chef de troupe Jean-Pierre Perreault qui a été son professeur à l’UQAM et pour qui elle danse pendant quatre ans, soit entre 1983 et 1989, après avoir obtenu son baccalauréat en danse, volet Interprétation et Création. De ces années à la Fondation Jean-Pierre Perreault, comme danseuse et aussi répétitrice, elle tire de précieux et durables enseignements sur le plan technique, esthétique et éthique. Ces enseignements l’encouragent à mettre sur pied, en 1989, une compagnie de danse qu’elle conçoit comme un lieu de rassemblement de créateurs autour d’un même projet artistique. Dans le choix de Cas Public comme désignation on peut y lire le pari, et la noble l’ambition, de faire de la danse un art d’engagement et d’inclusion. L’avenir le dira.
En 1994, avec huit œuvres à son actif, dont quatre au sein de Cas Public (Les porteurs d’eau, Dans la salle des pas perdus, Les régions du Nord, Bestiaire), Hélène Blackburn éprouve le besoin de se ressourcer. C’est sous la codirection de Paul-André Fortier et Michèle Febvre, tous deux professeurs au département de danse de l’UQAM et respectivement chorégraphe et interprète très actifs, qu’elle creuse dans une maitrise de création l’une de ses grandes obsessions : le dépassement physique du danseur tel que ressenti dans Le Sacre du printemps de Stravinsky. C’est dans ce contexte que nait, en 1995, Suites furieuses, une œuvre-pivot dans l’évolution de son écriture chorégraphique et l’essor de la compagnie. De fait, Suites furieuses est présenté un peu partout en Europe et au Québec, entre 1996 et 1999, contribuant ainsi à positionner Hélène Blackburn et sa compagnie dans les réseaux de la diffusion de la danse et, plus largement, des arts de la scène.
Les premières reconnaissances
Rappelons que déjà, en 1991, Hélène Blackburn se distingue comme artiste de la relève, avec des spectacles comme Cathédrale ou Les porteurs d’eau, et reçoit le prix Jacqueline Lemieux du Conseil des arts du Canada. Près de dix ans plus tard, c’est en tant que chorégraphe nord-américaine, et pour la qualité de son travail chorégraphique que le Centre Laban de Londres lui décerne le prix Bonnie Bird. En quelque quinze ans, Hélène Blackburn s’est taillé une place de choix parmi les chorégraphes de sa génération et au sein de la profession, et sa compagnie détient une réputation des plus enviables sur la scène internationale. L’avenir est plein de promesses.
Une expérience continue de la transmission
En parallèle à ses activités d’interprète, répétitrice, chorégraphe et directrice de compagnie, Hélène Blackburn est appelée, dès 1987, à transmettre les enseignements qu’elle a reçus et les savoir-faire qu’on lui reconnait. Elle donne des cours de composition, de répertoire, des ateliers chorégraphiques, des stages d’improvisation ou de création, à l’UQAM, à l’Université Concordia, à l’École de danse contemporaine de Montréal ou, encore, à Ballet Divertimento. Puis, à partir des années 90, les Écoles d’enseignement supérieur en danse lui commandent des œuvres, soit plus d’une vingtaine depuis. C’est sans compter la dizaine d’œuvres de commande – autre mode de transmission – signées pour des compagnies de danse au Québec, au Canada et au Royaume-Uni et, au-delà dans les années 2000, en Norvège et en France. Les Beaux Dormants pour le Ballet de l’Opéra National du Rhin est la toute dernière œuvre de commande (2018), et une première dédiée au jeune public désormais inscrite au répertoire de l’institution.
Les années 2000 : la découverte du jeune public
Sous la poussée d’un groupe de diffuseurs de La danse sur les routes du Québec (DSR), qui accueillent ses spectacles pour adultes, Hélène Blackburn tente une première expérience en direction du jeune public. Le coup d’envoi est donné en 2001 avec Nous n’irons plus au bois, une interprétation jouissive du conte de Perreault, Le Petit Chaperon rouge, stimulée par la découverte de Bruno Bettelheim et de sa Psychanalyse des contes de fées (Laffont, 1976). Le spectacle enregistre plus de 300 représentations au Québec et à l’étranger et se mérite d’ailleurs, en 2003, le prix de la Meilleure création jeunesse décerné par le Réseau des diffuseurs professionnels du spectacle (RIDEAU).
En parallèle à la diffusion de Nous n’irons plus au bois, Hélène Blackburn prépare un spectacle pour adultes. Courage mon amour, présenté à l’Agora de la danse en 2002, annonce un retour aux bases de la technique classique avec ces corps en élévation dans des chaussures à talons, tendus à la verticale, qui se révèlent dans une nouvelle amplitude, dans une gestuelle qui s’épure dans la ligne et l’arrondi.
Puis, en 2004, Hélène Blackburn réalise un nouveau coup s’adresse en direction du jeune public, avec une version quelque peu subversive du conte de Barbe Bleue. Le spectacle fait l’objet de critiques élogieuses partout où il est présenté et tourne pendant trois belles années. Sans renoncer à rencontrer le grand public, notamment avec Suites cruelles créé en 2008, en coproduction avec le diffuseur Danse Danse, Hélène Blackburn poursuit sur sa lancée en création jeunesse. Depuis Barbe Bleu, elle signe autant d’œuvres que de succès en diffusion sur la scène nationale et internationale. Dans l’ordre : Journal intime (2006), Le cabaret dansé des vilains petits canards (2008), Variations S (2010), GOLD (2011), Symphonie dramatique (2014), Suites curieuses (2015), 9 (2016), Not Quite Midnight (2018), Suites ténébreuses (2019) et Love Me Tender (2020).
Ses ancrages artistiques
Si la venue à la danse jeunesse tient du hasard, elle s’est avérée émancipatrice à bien des égards. La chorégraphe, Hélène Blackburn, dit y avoir découvert un territoire de recherche et de création, où tout, ou presque, était à inventer et, plus encore, un espace insoupçonné de liberté à la mesure de ses obsessions artistiques.
Sa première obsession se formule ainsi : repousser les limites du corps dansant et en accroitre les capacités expressives par le dépassement physique, en poussant la mécanique du mouvement dansé à partir d’un seul point d’ancrage : la technique. Tout part du mouvement qu’elle a appris à chercher, générer, sculpter et activer dans le corps des danseurs, en mêlant les techniques du ballet et de la danse contemporaine, et de telle sorte qu’ils soient en combustion.
Sa deuxième obsession concerne sa conception de l’art : un geste d’engagement social et un acte de communication. Elle s’en explique : l’art donne accès à un point de vue privilégié sur le monde, un point de vue certes subjectif, mais réfléchi, en pensant au public avec qui l’on veut partager ses interrogations, ses doutes, ses espoirs. Observer le comportement humain, traiter des grandes énigmes de l’existence humaine à travers ses rites de passage, poser un regard à la fois acéré et amoureux sur l’humanité dans son évolution et sa relation au présent, c’est ce qui intéresse Hélène Blackburn. Son inspiration, elle la puise au contact des grandes œuvres du répertoire occidental, des traditions orales et populaires, des contes, légendes et mythes. Ici, la chorégraphe tire profit de sa formation universitaire en ethnologie et en théâtre et de champs d’intérêts qui ont nourri son imaginaire d’enfant et d’adolescente : la danse et la musique classiques, l’opéra lyrique, la littérature, la mythologie et les sciences.
Sa longue immersion dans l’univers du jeune public, elle le constate aujourd’hui, l’a obligée à repenser tout ce qu’elle croyait savoir. D’avoir à se préoccuper de la relation avec ce public, à toutes les étapes du processus de création, ce qui est moins un impératif quand on d’adresse à des adultes, l’a amenée à se redéfinir par rapport à son art et non en fonction de l’âge du public. D’œuvre en œuvre, elle a précisé et rôdé sa méthode de travail, ce qui l’a propulsée dans des zones qu’elle cherchait intuitivement depuis ses débuts en chorégraphie : créer des spectacles de danse accessibles et inclusifs, au sens où ils peuvent s’adresser à tout public, étant donné le caractère universel du langage de la danse.
Tout compte fait : créer pour la jeunesse, à l’encontre du préjugé courant, comporte peu de contraintes, si ce n’est d’essayer d’être à la hauteur de ses exigences. Car, par un effet de retournement, l’expérience du jeune public la renvoie et la confronte à elle-même en tant que femme, mère, artiste engagée, directrice d’une compagnie de danse et citoyenne du monde. Hélène Blackburn ne cherche pas à plaire ou à divertir, mais à provoquer une rencontre authentique avec un public vivant, vibrant, un brin sauvage et extrêmement intelligent. « L’enfant détient souvent une connaissance intime de la danse ; il n’a pas peur d’expérimenter les multiples bifurcations d’une narration fragmentée, ou encore la radicalité d’une œuvre plus abstraite. » Si ses œuvres sont d’une belle complexité sur le plan formel et thématique, elle ne perd jamais de vue ce qui préside à la réception d’un spectacle de danse : la perception sensible et kinesthésique de corps en mouvement, vecteurs de sensations, de perception et d’intelligibilité à tous âges.